• La coccinelle de la solitude

    Cette petite bestiole, toujours la même, se posa sur mon bras gauche. J'étais couché sur la botte de paille qui me servait de lit. Elle poursuivit alors son chemin, atteignant ma main puis mon index. Je l'observai le doigt tendu vers le ciel étoilé. Avoir une vielle grange comme chambre n'était pas très luxueux, mais c'était bien l'endroit où je me trouvais le mieux dans cette ferme... Au moins ici, même si le vent et la pluie m'atteignaient, il m'arrivait de me retrouver seul, au calme, sans que personne ne vienne me reprocher quoi que ce soit. Et puis, je n'étais pas si seul, parfois les cochons passaient la nuit ici, et sinon, il y avait cette petite coccinelle, qui depuis un mois venait me voir tous les soirs.

    Des bruits se firent entendre, des cris, des rires stridents. On ouvrit la porte violemment. « Ah te voilà petit merdeux ! » Une grosse femme au cheveux noirs bouclés, accompagnée d'un homme costaud au torse poilu s'approchèrent de moi en m'injuriant. C'étaient mes parents. Et ils avaient visiblement encore bu. Pour expliquer en quelques mots ma situation. Je n'étais pas un enfant désiré à l'origine, en naissant, déjà que j'avais fait mal à ma mère comme elle ne l'avait jamais eu, je ne convenais pas non-plus aux critères de beauté ou de caractères voulus, et en grandissant cela ne s'est pas arrangé. Ils boivent beaucoup, beaucoup pour oublier que je suis leur fils disent-ils, moi je pense qu'ils étaient déjà comme ça avant. Je ne comprends pas ce qu'il me reproche. C'est d'être venu au monde me disent-ils. Pourtant depuis toujours je travaille sans me plaindre et en continue à la ferme, c'est moi qui l'a fait tourner. Je fais tout. Absolument tout. Si ce n'est boire, me reposer et battre mon fils. Les voici désormais à ma hauteur. La coccinelle s'est enfuit. L'homme prend la parole : « La sale bestiole se cache dans son foin... » Cette fois-ci la bestiole, c'est moi. Et tenter de me cacher serait bien inutile... La femme pose la bouteille déjà bien entamée au sol, puis sort de son dos un fouet, avec un sourire malveillant. Elle me fait un geste de la tête. Je sais ce que j'ai à faire. J'enlève mon haut, un vieux morceau de tissus tout sale et déchiré. Il serait bien idiot de l’abîmé d'avantage, je n'en aurais pas d'autre avant noël, dans neuf mois... Puis je me place juste devant elle, les bras tendus sur les cotés. Je la regarde dans les yeux, elle aime voir la douleur. Et un, deux, trois, quatre, cinq, les coups s'enchaînent et je perds bien vite le compte. La douleur est atroce. Vous vous demandez surement pourquoi je ne m'y oppose pas alors que cela fait douze ans que ça dure... Il y a plusieurs raisons, pourquoi fuirais-je, je n'ai nul part où aller, et puis je crains que ma mère soit de nouveau enceinte... Argh la douleur ! Mais je sais que si je reste suffisamment longtemps debout avant de m'écrouler, si je la divertis assez, j'aurais peut être le droit à un bout de pain. Les secondes passent, je ne sais combien, puis mes jambes cèdent et je m'écroule sur le sol. Je lève les yeux pour toujours la fixer. Elle remet deux coups de fouets, puis elle se recule, récupère la bouteille boit un coup et annonce : « Un bout de croûton pour demain. ». Je ne m'en sors pas si mal.

    C'est au tour de l'homme de s'amuser maintenant. Il me prend par les cheveux et me traîne dans la grange jusqu'à une énorme flaque de boue. Là il prend ma tête et m'enfonce le visage à l'intérieur. Je ne peux plus respirer. Il la ressort et recommence à nouveau. Cela dure jusqu'à ce que, en pleurs, j'hurle que je ne suis qu'une erreur de la nature, que ces gens là sont si bons avec moi, que je leur dois tout, et que sans eux je ne serais moins que rien, déjà que je suis rien. Et bien évidemment, je dois me débattre au moins un minimum, si je l'avoue dès le début, j'ai le droit à une deuxième ration de fouets avant de recommencer le rituel de la boue... Puis il s'en vont, satisfaits d'eux, me laissant de nouveaux seuls, mais la solitude me semble moins douloureuse que lorsqu'ils sont là. Je rampe comme je peux jusqu'à l'abreuvoir où je me rince le visage puis je rejoins difficilement ma paille où je m'endors, tout mon corps meurtri.

     

    Le soleil irradie le potager. Je m’occupe de ramasser deux carottes, et de planter les graines que j'ai pu récupéré d'une tomate mangée l'année précédente. Je retourne à l'intérieur. Cela fait quatre ans que j'ai quitté la ferme familiale si je puis dire. A la naissance de mes sœurs, oui, c'étaient des jumelles, mes parents ont tellement criés et je les entendais prédire la vie de misère de ces filles, ce qu'ils comptaient leur faire s'ils ne les abandonnaient pas avant l'âge... Je n'ai pas eu à réfléchir bien longtemps. J'ai volé une couverture, un sac dans lequel j'ai glissé une bouteille de lait, un morceau de pain, et des pommes de terres. Puis j'ai lâcher les cochons dans la ferme elle-même, là où se trouvaient les adultes. C'était la panique, ils se sont dépêchés de rejoindre la grange où ils pensaient me trouver. J'en ai profité pour enrouler mes sœurs dans la couverture et prendre la fuite. Au bout de deux mois, nous avons trouvé une toute petite cabane abandonnée. L'intérieur était assez rustique, mais il restait un vrai lit, avec un matelas, ainsi qu'une table, un tabouret, un saut et une cheminée. Quelle chance ! De plus, un ruisseau passe à une cinquantaine de mètre plus loin, et la terre autours y est fertile. Nous nous y sommes donc installés. Depuis mes sœurs ont grandi, et je m'en occupe de mon mieux avec les moyens qu'on a.

     

    C'est le soir, on passe à table, mangeant une soupe de carottes.

    « Grand frère, c'est très fade...

    - Vous êtes des horribles mochetés ! »

    Les deux jeunes fillettes se mettent à pleurer à chaude larme. Il leur tapote sur la tête en souriant d'un air apaisant.

    « Allons, je ne pensais pas ce que je disais. Léchez vos larmes maintenant, vous sentez ? C'est ce qu'on appelle le salé. »

     

    Elles sourient émerveillées. Elles sont vraiment adorables. Quand elles seront en âge de veiller l'une sur l'autre, je partirai chercher du travail au village le plus proche pour leur offrir de meilleures conditions de vie. Je souhaite qu'elles aient la vie qu'elle mérite, bien loin de là où elle sont nées. Je ferai tout pour qu'elles soient heureuses et qu'elles n'aient jamais à endurer ce qui avait été annoncé le jour de leur naissance. Je ferai tout pour elles, car elles sont tout pour moi. Elles m'ont sorti de ma solitude de manière durable, comme le faisait cette petite coccinelle chaque soir, rien qu'un instant.

    Toshigome

     

    « #41#42 »

  • Commentaires

    1
    MissWrites
    Samedi 23 Janvier 2016 à 19:36

    Hello ! Effectivement cela faisait un bout de temps que je l'attendais mon histoire sur la solitude. Et je n'ai pas été déçue car c'était vraiment sympa à lire. Il y a deux ou toise fautes qui trainent mais le texte est léger, bien écrit et la fin est mignonne. Merci !

    2
    Samedi 23 Janvier 2016 à 19:58

    Oui, j'en suis vraiment désolée... Mais je suis ravie qu'elle t'ait plu !! J'aurais pas aimer te décevoir par le contenu en plus que par le délais... :P Je te remercie grandement d'avoir lu le texte et donné ton avis, si tu veux me préciser les quelques fautes, n'hésite pas, c'est toujours bien pour s'améliorer. 

    Il n'y a pas de quoi, merci beaucoup à toi !

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